L’entreprise migre. Ses espaces traditionnels sont trop étroits, les murs explosent. Sa localisation se fait moins précise. L’entreprise géographique perd du terrain. Place à l’entreprise ubique.
L’entreprise existe de plus en plus hors ses murs. Elle se nomadise. Le durcissement de la concurrence impose une présence accrue auprès des clients, toujours friands d’attentions et de sollicitude. La recherche permanente de nouveaux débouchés commerciaux nécessite le déploiement d’équipes terrain fournies et disponibles. La participation régulière et active à des salons, des congrès, des foires, des expositions a depuis longtemps suscité la mise en place de compétences dédiées rapidement mobilisables et opérationnelles pouvant s’appuyer sur une logistique rompue à une gestion des flux complexe. Le regain d’intérêt pour les opérations MICE et la stratégie du dialogue répond au besoin impérieux de faire vibrer, de manière éphémère, des lieux d’existence alternatifs de l’entreprise. Laquelle investit alors des hôtels, des palais des congrès, des morceaux de villes, détourne des lieux, comme les musées, de leur vocation première ou emprunte des itinéraires au tracé plus ou moins subtil mais toujours complice du message à transmettre.
A présent, l’entreprise délaisse souvent le réel au profit du numérique. Elle est partout et nulle part. Elle tisse une gigantesque toile sur laquelle elle poursuit ses objectifs naturels : elle prospecte, elle séduit, elle vend, elle fidélise. Bref, elle reste elle-même mais dans une autre dimension. Puis elle revient très vite au terrain, variant ainsi ses approches et ses actions en usant d’une palette riche d’outils en tous genres. Elle oscille ainsi du numérique au territoire jusqu’à confondre allègrement l’un et l’autre.
Dans ce mouvant contexte, le défi consiste à favoriser, tout en l’encadrant, ce nomadisme affirmé et un rien sophistiqué de l’entreprise. En interne, au sein de l’entreprise, il va générer l’émergence de missions nouvelles et fédératrices, chargées d’arbitrer des budgets hétéroclites en apparence et d’en contrôler les coûts et les dépenses. Leurs titulaires seront en prise directe et exclusive avec les partenaires extérieurs retenus pour avoir su construire une offre cohérente et globale répondant comme en écho aux besoins de l’entreprise en mouvement.
Comme le suggère une récente étude, on pourra bientôt imaginer la création d’une direction nouvelle dans l’entreprise faite de fragments de plusieurs autres ou dotée d’un réel pouvoir de coordination lui conférant les moyens d’une gestion transversale de ces besoins. A ce jour, leur prise en charge est assumée en ordre dispersé par la direction des Achats, celle de la Communication, les Ressources humaines, la direction des Ventes, les Services généraux et autres clients internes. La reconnaissance d’une identité à part entière de l’entreprise en mouvement , consacrée par divers arbitrages internes, lui donnera une visibilité très attendue et sera sans doute source de rationalisation et d’économies. Pour les prestataires de l’entreprise, cette évolution imposera une substitution de modèle. Et pour parler clair, les agences de voyages d’affaires et de MICE sont conviées là à un véritable changement d’échelle. Le service de l’entreprise en mouvement requiert en effet des compétences en matière de logistique bien entendu, d’accompagnement, de conception et de gestion de tous événements et supports de communication bien sûr. Mais il implique aussi désormais la maîtrise et la gestion des moyens d’exploitation mis à la disposition des personnels ou des services extériorisés comme, par exemple, les applicatifs d’usage quotidien (solutions audio ou vidéo, parc informatique, logiciels…) ou encore les flottes de véhicules. De même, ces prestataires seront-ils amenés à prendre en charge toutes les questions juridiques engendrées par les activités hors ses murs de l’entreprise. Et d’intervenir sur des problématiques variées : la veille sécuritaire sur sites sensibles ou off-shore, l’assistance, l’assurance aux personnes, le suivi des dossiers constitués en vue du recouvrement de taxes récupérables à l’étranger, le respect de la politique de déplacements adoptée par l’entreprise en matière de développement durable et d’empreinte carbone … .
La concentration de ces différentes compétences constitutives de l’entreprise en mouvement posera sans doute moins de problèmes qu’on pourrait le supposer aux prestataires extérieurs. Ils existent déjà ceux qui assurent une grande partie de ces responsabilités. Les Travel Suppliers et opérateurs MICE sont depuis bien des années sollicités aussi bien pour leurs compétences opérationnelles qu’en leur qualité de conseils sur des matières touchant l’environnement juridique ou technologique de leur domaine spécifique d’intervention. Et s’ils ne peuvent certes pas réunir encore aujourd’hui l’ensemble des compétences techniques requises par une telle évolution, ils sont très clairement les plus à même d’en assurer sans délai la maîtrise d’œuvre.
Dans cette perspective, les partenariats stratégiques amorcés entre les professionnels du Voyage d’affaires et ceux du MICE prennent alors tout leur sens. Edifiés à partir de principes respectant les compétences de chacun, fuyant la confusion des genres, cherchant d’abord et avant tout les synergies, ils seront aptes à façonner cette offre que le marché réclame. Et permettront, au passage, aux professionnels concernés de s’imposer décisivement parmi les partenaires -clés de l’entreprise qui bouge, qui avance et se développe.
Didier TURCAN