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10 juin 2012 7 10 /06 /juin /2012 22:55

MICE

 

« Amis de la chanson de geste et de la poésie médiévale, bonsoir ». Trente ans qu’il faisait la même au début de chacun de ses discours. Il ne s’en lassait pas. Ses collaborateurs, si.

« Nous venons de quitter le quai. Nous naviguerons pendant 6 ou 7 heures pour rejoindre Montbard, en Bourgogne, où nous poursuivrons la soirée autour d’un feu de camp. Puis, nous passerons la nuit dans des hamacs  suspendus dans les arbres du bois du Canot. Je rappelle à tous que si vous ratez votre entrée dans un hamac, vous passez la nuit à faire de l’alpinisme ! »

Et l’auditoire de s’esclaffer. Encouragé, il poursuivait : « Réveil à 5h30, comme convenu, petit déjeuner très frugal et en route pour le jeu de piste maison. Nous prévoyons le retour sur Paris, pour ceux qui ne se seraient pas perdus en route, vers 13 heures, en car. En raison de la nouvelle réglementation applicable aux transports de tourisme dans la capitale, le chauffeur nous déposera Porte de Bagnolet d’où chacun regagnera ses pénates par ses propres moyens. Voilà, bon incentive à tous ! ».

Les clients invités ce soir là pour un simple cocktail-croisière à bord d’une unité des Bateaux Parisiens se détendirent. La réception démarrait très fort.

C’est ainsi, à peine caricaturé, que l’incentive  a fait son entrée en France au début des années 70. Très vite cependant le produit allait monter en puissance et nombreux sont ceux qui se souviennent encore de ces opérations d’une semaine et parfois plus dans des  îles paradisiaques, à visiter les temples khmers ou à trekker  sur les hauts plateaux argentins.

Il  reste que les français ont toujours eu du mal à accepter ce terme « incentive » et qu’ils lui ont préféré, un temps, celui de « stimulation ». On parlait alors, considérant la population essentiellement visée, de « stimulation des forces de vente ». Ce terme n’était guère heureux et, au mieux, évoquait-il quelque vague expérimentation de laboratoire. Il fut assez vite remplacé, dans les argumentaires commerciaux, par celui de « motivation ». On progressait et ce dernier tint le haut de l’affiche plus longtemps. Il était neutre. Il inspira de nombreuses dénominations sociales.

Mais le métier continuait d’évoluer et la palette de produits des professionnels s’enrichissait. La législation elle-même évoluait, prenant acte de l’élargissement des compétences en la matière. Le concept de « motivation » devint trop étriqué. Il fallait nommer le métier de manière plus ambitieuse et on ne trouva pas mieux que « tourisme d’affaires ». Erreur de marketing considérable que nous avons tous commis en utilisant cette expression.

Pour les plus savants d’entre nous, ce terme est une figure de rhétorique et de style bien connue : c’est un oxymore. Un oxymore vise à rapprocher deux termes que leurs sens premiers devraient éloigner dans une formule en apparence contradictoire. C’est la fameuse « lumière noire » de Victor Hugo. En littérature, c’est apprécié des connaisseurs. Commercialement, c’est une catastrophe. Et le métier, une fois de plus, se nommait mal. Et mal nommer les choses, disait Camus, c’est ajouter au malheur du monde.

Sur le terrain, tout le monde a au moins un jour vécu cette contradiction et pu en mesurer les effets.

Vous vous êtes certainement retrouvés en congrès, en convention ou en séminaire dans un hôtel du sud de l’Europe qui accueillait dans le même temps des touristes, en famille, dont le souci principal, en plein milieu de votre signalétique, était la quête à l’accueil du nombre exact de serviettes de bain leur revenant juste avant de se prélasser au bord de la piscine en regardant, attendris, leur progéniture s’égayer bruyamment. Mélange des genres fatal. Et dans cette situation, personne n’est content. Les uns de croiser des gens en maillot de bain pas toujours à la mode, les autres de partager l’ascenseur avec des séminaristes en costumes sombres. Et pour l’organisateur, c’est juste ingérable avec un staff hôtelier partagé entre deux comportements et finissant par confondre les types de clientèle qui se disputent ses faveurs. C’est cela le tourisme d’affaires. Un contre-sens.

C’est pourquoi, l’adoption s’est opérée aussi facilement depuis une dizaine d’années de cet acronyme anglo-saxon, le MICE, pas très élégant mais pratique et qui épargne de faire dix phrases pour décrire un métier simple, quoique, et qui devrait connaitre une nouvelle expansion dans les années qui viennent. Alors, souriez et soyez MICE.

Didier TURCAN

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